• Côte à côte (19)

     

     Côte à côte (19)

     

    Le dimanche, c’est le jour que la plupart des gens attendent avec impatience. Pas moi ! Car le dimanche, c’est le jour de la sacro-sainte messe… Si encore il n’y avait que la messe !!... D'abord, adieu, grasse matinée, je me lève plus tôt que tous les autres jours de la semaine  :  si je veux avoir ma chance à la salle de bains, je dois doubler le défilé des Miss Italie de la famille. Unique pic de testostérone parmi quatre pics d'ovulation encore plus ou moins actifs (ma mère, ma soeur et mes deux tantes, Pia et Paola, qui dorment à la maison dès le samedi soir « pour gagner du temps sur le trajet »), j’ai intérêt à les prendre de vitesse devant le miroir, sinon, il ne me restera quelques nano-secondes avant le top départ.

     

    Ensuite, après les costumes et le maquillage, pour se joindre au spectacle, il faut un trajet en carrosse avec la smala endimanchée au grand complet. Ma sœur au volant, une terroriste de la route, ma mère sur le siège passager, parce que ses fesses ne rentreraient pas à l’arrière, et moi coincé en otage entre les deux talibanes de la vertu qui me cassent les oreilles de leurs commérages cacardants pendant tout le trajet… bon dimanche et bienvenue sur Radio Ragots !

     

    Quand je les regarde de près, je me dis que plus les femmes sont vieilles, plus elles se tartinent de trucs sur la tronche pour cacher leurs défauts, et moins ça marche. Au mieux, elles ressemblent à des momies ; au pire, à des psychopathes scarifiées. Tant de temps à la salle de bains pour si peu de résultat ! Dans une entreprise, avec un tel rendement, on les jetterait direct. Si seulement j’étais chef d’entreprise !...

     

    J’envie mon frère Giulio qui a obtenu la permission de quitter le clan des soutien-gorge et de se prendre un studio en ville depuis qu’il travaille. Il a sa propre salle de bains, pour lui tout seul, quel luxe ! Mais il ne veut pas que j’aille dormir chez lui, parce qu’il est rarement seul sous ses draps. Il nous rejoint donc en scooter à l’église, souvent mal peigné, dépenaillé et mal rasé, comme s’il venait de sortir du lit (ce qui est sûrement le cas), ce qui fait hurler ma mère de rage et tartailler mes mitraillettes de tantes encore plus.  Ratatatatatata, à fond les tatas !

     

    On pourrait aller à pied à l’église du village, mais non, ce serait trop simple. C'est tellement plus fun de nous entasser tous dans la Fiat Mini de ma sœur et de nous farcir 20 km de routes de montagne, minces et enroulées comme des spaghetti, pour aller suivre la messe dans le village natal de ma mère, (parce que c’est là qu’elle est toujours allée et qu’elle ne veut pas en changer), en essayant de ne pas vomir dans les virages que notre terroriste du volant attaque avec une détermination de kamikaze. Les seules fois où on échappe à la mort, si on a de la chance, c’est en hiver, quand la route est barrée. Merci congères, verglas, avalanches !...

     

    Une fois arrivés à l’église, plus morts que vifs, on a un besoin urgent du Ressuscité, c’est sûr ! Commence alors le grand gala du dimanche, avec le type en robe brodée qui balance sa lampe qui fume entre deux chansons et passe son temps à nous faire lever, asseoir, mettre à genoux, relever, réasseoir, remettre à genoux… dans une choré digne d’un exercice de fitness pour abdos-fessiers. Bizarrement, là, plus personne n’a mal à ses rhumatismes pour exécuter les mouvements à la perfection, et personne non plus n’accuse le transsexuel de nous imposer son tabagisme passif quand il danse au milieu du public en extase avec son fumigène puant. C’est la giga-teuf officielle, la Curé-Pride hebdomadaire, la rêve-party du Crucifié en gloire, star de la matinée dans son costume minimaliste, clou et clouté du spectacle dominical.

     

    Mais le pire, dans ce show, ce ne sont pas les danses ni les costumes, ce sont les lyrics de la comédie musicale. Ca ne parle que de souffrir, de se sacrifier, de saigner, châtier, agoniser, expier. Le scénario biblique, (l'Ancien Testament en particulier), c'est plus trash que Terminator et Le Silence des Agneaux remixés. Justement, il y a un solo rituel de l’Agneau Immolé, à côté duquel les récits de l’Aïd par mon pote Mohamed sont des contes pour enfants. Quand je pense qu’on a essayé de faire rentrer toutes ces conneries dans mon crâne depuis que je suis petit... heureusement que j’ai la tête dure ! On est au 21e siècle, mais dans les villages de montagne de l'arrière-pays, le passé a tellement pris racine qu’il faudrait dynamiter la roche pour lui faire lâcher prise, comme pour y amener l'électricité…

     

    Le seul bon moment de ces dimanches pourris, c'est entre la fin de la messe et le déjeuner en famille, quand on passe voir le Nonno à son hôtel pour vieux. Ils l’ont collé là depuis qu’il ne pouvait plus se déplacer seul, même avec l'aide de son déambulateur... il avait pourtant bien réagi et montré ses réflexes dans l'accident avec le randonneur ! Moi, j’aurais préféré qu’on le garde à la maison, j’étais même prêt à m’occuper de lui. Mais j’avais mes cours, les autres travaillaient, et les tantes ne voulaient pas d’un homme chez elles (de toute façon, même l’hôtel pour vieux est mieux que vivre chez mes tantes). Le personnel a l’air gentil, mais les chambres sont si petites, et surtout, Nonno n’a plus aucune liberté : il doit tout faire en même temps que les autres vieux, c’est devenu un esclave des horaires, lui qui les avait royalement congédiés depuis sa retraite bien méritée. Je vois bien qu’il n’est pas heureux, même s’il ne dit rien. De toute façon, même s’il le disait, qu’est-ce que ça changerait, hein ?...

     

    Alors, voilà à quoi mène tout ce blabla catho, le message du type aux épines, le bon Samaritain, l’aide au prochain, tout ça... On participe au grand show du dimanche, on critique son voisin et on se débarrasse de ses proches quand ils deviennent gênants. Si on avait voulu me rendre athée, on n’aurait pas pu mieux s'y prendre. Fuck l’Eucharistie !

     

    En tout cas, moi, c’est décidé : l’an prochain, je passe mon permis, je cherche du travail comme Giulio, je me barre en ville, je boycotte la messe et surtout, surtout, chaque jour que Dieu fait, j'irai voir mon Nonno !


     

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