"S'il y a un défaut intolérable aux yeux de notre société, c'est bien la paresse. Dans ce monde de surproductivité où les hyperactifs sont rois, il n'y a pas de place pour l'improductif considéré comme un oisif condamné impitoyablement à la mendicité; nous devons justifier coûte que coûte notre existence par un labeur incessant et parfois si démesuré qu'il prend la place de la vie elle-même. L'oisiveté, cependant, n'est pas toujours là où on le croit.Car en réalité, on voit beaucoup de personnes qui s'agitent extérieurement en cette société et qui en eux-mêmes ne font pas grand-chose pour changer. Ce n'est pas le cas de ces fainéants de mystiques. Les spiritualistes, toujours assis en prière ou en méditation devant la flamme d'une bougie, ne font rien de leurs dix doigts alors que l'honnête travailleur sue sang et eau au marteau-piqueur. C'est un scandale ! Le Bouddha assis en tailleur les yeux fermés offre le triste spectacle de l'oisiveté et il ne semble même pas en éprouver le moindre remords, il sourit de ne rien faire, c'est un scandale ! Pourtant, si on regarde bien, une coupe ne peut pas être remplie si elle n'est pas vide (...). Nous ne pouvons pas recevoir si nous sommes émissifs. Donc il est bon d'être fainéant face aux pensées tonitruantes de notre mental, face aux agitations incessantes de notre ego. (...) La vertu n'est pas toujours dans l'action, loin s'en faut. Avec la fainéantise bien placée, nous apprenons à faire la paix en nous-mêmes, à retrouver le silence, le vide. En nous vidant de toutes les idées débiles et mortifères qui assaillent notre cerveau, nous laissons la place pour plus de lumière, plus de clarté. En fait, un fainéant n'est pas assez fainéant, il devrait pousser sa fainéantise jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'au vide : en faisant le vide des poids inutiles dont nous sommes chargés, en faisant le vide de tous nos soucis, nous nous purifions la tête. (...) Autrefois, les artistes antiques méditaient, ils se mettaient en phase de réceptivité pour recevoir l'inspiration; après quoi seulement, une fois l'inspiration reçue des Muses, ils se mettaient au travail pour manifester leur inspiration à travers une oeuvre. De même, celui qui est fainéant doit apprendre l'inactivité totale jusqu'au vide. Il pourra ainsi se purifier des élucubrations de son mental limité pour recevoir l'inspiration illimitée de la sagesse divine. En apprenant par l'oisiveté à être réceptifs à la nature tout entière, la nature tout entière nous enseignera même à travers ses plus humbles manifestations."
Pascal BOUCHET, "La voie de l'alchimie" Editions Leduc, 2022
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