Je poursuis mon voyage en images. Après m'être rafraîchie dans les Dolomites, me voilà revenue en ville... Toutes les photos utilisées pour ce texte proviennent de l'article "Bolzano, due tradizioni per una città magica - Cosa veder a a Bolzano" sur le site luoghidiinteresse.it On y va ?... |
Le bulletin météo est catégorique : aujourd'hui sera une nouvelle fournaise. J'ai beau être d'ici, je n'aime toujours pas la chaleur. Depuis que j'ai emménagé en périphérie, chaque retour au centre-ville, en particulier l'été, quand la saison touristique bat son plein, est un calvaire. Mais pour toi... J'ai pris le bus pour éviter les bouchons et le casse-tête du parking une fois sur place. Sur la Passeggiata del Talvera, quelques arbres distribuent gracieusement une ombre propice. Il fait encore frais. J'ai avancé ma venue de plusieurs heures pour avoir quitté la ville avant le pic de canicule. Et puis, je veux t'apporter des fleurs fraîches, encore gaillardes sur leurs tiges, et parfumées. Comme chaque fois, j'ai le coeur qui bat. C'est stupide, n'est-ce pas ? Mais il bat...
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A l'approche de la ville, le ballet des cabines, sur les trois lignes de funiculaire, se précise. Prendre de la hauteur... est-ce la solution ? Depuis l'arrêt de bus, je gagne la Piazza delle Erbe, tout en longueur, avec ses étals bigarrés, pressés au pied d'élégantes façades... voyons, quelles fleurs vais-je te prendre aujourd'hui ? Les roses ? Seront-elles encore soyeuses à mon arrivée, ou leur coeur sera-t-il déjà lourd ? Les lis ? Je les adore, mais leur parfum intense peut donner le tournis... Lesquelles alors ? Tournesols, gerberas, freezias, glaïeuls ?... Le ciel bleu vire déjà au gris pâle, l'air se charge d'une moiteur étouffante, aggravée par le parfum capiteux des senteurs florales mélangées. Je dois y aller... Incapable de me décider, je saisis au vol un bouquet mixte, dont les dominantes rouge et blanche me semblent appropriées.
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Bouquet en main, je me hâte vers ma destination. Serai-je à l'heure ? Il ne faudrait pas que... Devant le Duomo, comme à l'accoutumée, et en dépit de l'heure matinale, les guides touristiques ont massé leurs troupeaux. Les premiers bus ont déjà déversé sur le parvis leur chargement... Drapeaux, casquettes, ombrelles, chaque berger y va de son accessoire remarquable pour rallier et orienter ses moutons. Au pied de l'édifice gothique, dont les tuiles alignent des losanges réguliers, une horde hérissée de manches télescopiques se dispute le meilleur angle pour prendre son selfie. Optimiser, maître mot de la trépidation moderne. On optimise tout, même les vacances. Prime spéciale à celui qui cadrera le meilleur selfie, trouvera l'angle de vue le plus original ou retiendra le maximum d'informations débitées par le guide (les écoutent-ils vraiment, ou scroller les notifications, épouiller les spams, mitrailler l'écran de réponses urgentes à des mails encore plus urgents, est-il prioritaire ?...) Et toi, optimises-tu ?... Si oui, sûrement pas la même chose que nous... là où tu es.
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J'arrive enfin. Par chance, j'ai réussi à ne pas être en nage. Je pousse la lourde porte. Ouf... L'office n'a pas encore commencé. A pas feutrés, m'obligeant à respirer lentement pour calmer ma respiration et mon coeur qui bat fort, toujours trop fort, je me dirige vers l'autel. La fraîcheur ambiante me remet d'aplomb... en même temps qu'elle soulève une tornade de questions : pourquoi toi ? Pourquoi ici ? N'avais-tu pas mieux à faire de ta vie ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi si jeune ? Et nous ?... Hier encore, tu prenais ces bus, ces télécabines, tu parcourais les rues de cette ville, t'asseyais sur ces places pour y boire un "stretto", arpentais ces trottoirs, ces parcs, ces esplanades, fendais cette foule envahissante de ton pas souple, touchais ces légumes, ces fleurs, l'eau gazouillante de ces fontaines, riais avec moi de ces touristes insolites, croisés ici ou là, au hasard de nos pas, comme cette grande girafe et sa toute petite femme, t'en souviens-tu, enlacés devant la vitrine d'un antiquaire à discuter du prix d'un gramophone... ? Mais non, tu ne t'en souviens pas, tu n'es plus là, tu n'es plus de notre côté du monde, et Dieu seul sait quels souvenirs t'en restent... pourquoi Dieu, d'ailleurs ? Pourquoi toi, pourquoi maintenant, pourquoi ainsi, toi qui aimais tant la vie et ses plaisirs, toi qui n'avais reçu aucune éducation religieuse ?... J'ai mis mon bouquet dans le vase, près de l'autel. Tel est l'accord avec ta hiérarchie, puisque mon sexe ne m'autorise pas à entrer là où tu es, puisque je ne peux pas non plus te le faire remettre, à toi qui ne possèdes plus rien, même pas ta personne ... Les fleurs resteront dans l'église, le temps de faner, tu ne sauras pas qu'elles viennent de moi, mais elles seront près de toi à chaque office, à chacun de ces temps de prière qui rythment ta nouvelle vie, celle qui m'est fermée. Et si un jour, par miracle, tu sors d'ici, comme avant, comme maintenant, je serai là.
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