La Lutiniere

Blog du site www.sylvieptitsa.com

Publié le par *Sylvie Ptitsa*

 

La croissance sans la croix

 

Un petit garçon que j'ai en cours particulier est passionné d'Histoire ; aussi, nous travaillons souvent à partir de quiz sur des époques ou des personnages historiques. Récemment, l'un de ces quiz nous a proposé une question sur les indulgences. Mon élève ne connaît pas ce terme, je le lui explique. Quelle n'est pas ma surprise d'entendre alors l'enfant me demander si les indulgences existent toujours : "il  en aurait bien besoin, car il a commis beaucoup de péchés".

Pardon ? En quelle année sommes-nous ?

Qu'est-ce qui traîne encore de culpabilité obsolète dans notre inconscient collectif pour qu'un enfant de 8 ans, exemplaire en tout, brillant à l'école, poli, généreux, serviable, éduqué par une famille équilibrée, attentive, aimante, se trouve "plein de péchés" et estime devoir "expier" ?

Expier quoi, au juste ? Jusqu'à quand allons-nous porter le poids d'une faute jamais commise, nous sentir obligés de souffrir pour payer une dette inexistante ? Venir au monde est-il un "péché", l'incarnation est-elle une "chute" ? L'existence humaine ne peut-elle se définir que comme un fardeau, une vallée de larmes dans l'attente d'un paradis consolateur ? Et s'il n'y a pas de Paradis ? Sommes-nous condamnés alors à errer dans cet enfer provisoire en attendant la mort ?...

 

Costume d'indulgences, Carnaval de Nuremberg,

vers 1500, Livre de Schembart.

 

J'ai répondu à cet enfant que les indulgences n'existaient plus, et qu'à mon sens, c'était une bonne chose, car elles découlaient d'un système profondément injuste qui favorisait les riches en excluant des pauvres déjà accablés. Néanmoins, je reste interloquée, pour ne pas dire choquée, par sa question.

 

Je repense à Don Marcelino (à qui est dédié Le coquelicot qui se sentait tout seul"), qui se moquait gentiment : "Vous, les Occidentaux, vous croyez toujours qu'il faut commencer par se faire crucifier pour ressusciter. Nous, Amérindiens, préférons honorer et célébrer la vie sans passer forcément par la souffrance et la mort. Cette notion d'expiation est absente de notre culture."

Bienheureux sont-ils, ou plutôt étaient-ils, avant que l'Eglise ne leur impose "la bonne parole", comme à tant d'autres ! Une immense colère me saisit chaque fois que je pense à ces vie détruites par des croyances pathologiques, érigées en vérités absolues.

Quand que je visite des églises espagnoles ou italiennes, je suis aussi choquée par la débauche de marbre et de dorures que par ces Christs abondamment sanguinolents pendus au-dessus de l'autel, ces morceaux de viande affaissée, martyrisée, exposés et adorés dans une grandiloquente mise en scène bouchère.

J'avoue ne pas comprendre. Il me manque sûrement les clés d'une éducation religieuse pour saisir en quoi la croissance ne peut s'effectuer sans la croix.

De même que je m'étonne, chaque année, de ces foules contrites et endeuillées qui, après des semaines de Carême, s'affligent en procession au moment même où tout, dans la nature, renaît, où le printemps éclate, où l'appel de la vie, la puissance du vivant, sont à leur paroxysme : il y a pour moi une contradiction temporelle, un déphasage, une incohérence, presque une anomalie. 

 

Source : www.123fleurs.com

 

Encore une fois, ma méconnaissance du dogme me porte peut-être à des interprétations erronées. Je ne livre que mes impressions de témoin extérieur perplexe et abasourdi.

Une chose est sûre : je ne crois pas que la douleur soit la seule voie d'évolution. Chaque existence humaine se heurte à suffisamment de difficultés pour qu'il ne me semble pas nécessaire de rechercher la souffrance, encore moins de lui vouer un culte.

Au dolorisme de certains styles, je préfère la simplicité du roman, avec ses Christs en gloire dont la lumière déborde la mandorle, ou la sobriété des églises protestantes.

Je pense que la seule véritable église, s'il en faut une, c'est la Terre. Puissions-nous en faire un lieu sacré plutôt qu'un étal de boucherie.
 

Voir les commentaires

Hébergé par Eklablog